01/12/2025 journal-neo.su  6min #297752

 Belgique : l'arrivée des F-35 tourne au flop en raison d'un retard technique et logistique

Pourquoi les F-35 belges sont-ils cloués au sol ? Quand un avion à 5,6 milliards d'euros se heurte à un pays trop petit pour le faire voler

 Ricardo Martins,

La Belgique a bien reçu ses premiers F-35, mais elle est incapable de les exploiter pleinement : son espace aérien est tout simplement trop étroit pour répondre aux exigences d'entraînement de ces appareils de pointe.

Un investissement de 5,6 milliards d'euros se heurte aujourd'hui à des contraintes structurelles inattendues, soulevant des questions cruciales sur les capacités, la planification et la préparation du pays.

La décision belge de moderniser sa composante aérienne en achetant des F-35 était présentée comme un saut stratégique vers la défense de nouvelle génération. Pourtant, l'arrivée des premiers appareils a révélé un problème structurel largement sous-estimé : l'espace aérien national est trop limité pour permettre l'utilisation opérationnelle complète de ces plateformes avancées. La situation met en lumière non seulement des défis techniques et logistiques, mais aussi des enjeux politiques et industriels qui ont façonné ce choix d'acquisition.

Une décision d'acquisition entourée de controverses

En 2018, le gouvernement belge a choisi d'acheter 34 F-35A pour un montant estimé à 5,6 milliards d'euros. Produite par Lockheed Martin, cette plateforme incarne la référence mondiale des avions de chasse de cinquième génération, combinant furtivité, fusion de capteurs et conscience situationnelle accrue. L'acquisition était présentée comme indispensable pour maintenir l'interopérabilité de la Belgique au sein de l'OTAN et garantir la pertinence de ses capacités aériennes à long terme.

Cependant, cette décision a suscité une vive controverse, notamment parce qu'elle écartait le Rafale français, ravivant une rivalité déjà ancienne entre les deux appareils et posant la question du respect d'une logique européenne d'achat d'équipements produits en Europe.

Les répercussions diplomatiques ne se sont pas fait attendre. La coopération belgo-française en matière de défense est pourtant profonde, notamment dans les véhicules blindés et l'artillerie. À Paris, le rejet du Rafale a été perçu comme un revers politique plutôt qu'un choix strictement technique. Le débat autour du processus d'acquisition a mis en évidence des inquiétudes concernant l'influence, l'autonomie stratégique et l'avenir de la base industrielle de défense européenne.

L'un des arguments majeurs en faveur du F-35 reposait sur la solidité industrielle du programme. L'usine de Lockheed Martin à Fort Worth, longue de près de 1,6 kilomètre, produit environ 250 appareils par an, avec un rythme mensuel d'environ 15 unités. Une cadence sans commune mesure avec celle du Rafale, renforçant l'idée que le F-35 bénéficie d'économies d'échelle, d'une demande mondiale et d'une logistique plus stable. Pour les autorités belges, cela constituait un gage de disponibilité, de réduction des risques et de viabilité à long terme.

La controverse a été relancée par une tribune percutante de Joren Vermeersch, conseiller du ministre de la Défense Theo Francken, dans De Standaard. Il y affirmait que rejeter l'armement américain revenait à se marginaliser stratégiquement, tout en accusant la France de surestimer sa propre industrie et de sous-estimer l'importance de la coopération transatlantique.

Sa comparaison de la France à un « village gaulois entouré de Romains en colère » a été largement critiquée pour son manque de diplomatie, d'autant que la Belgique reste un client majeur de l'armement terrestre français - 382 Griffon, 60 Jaguar, 28 Caesar et 24 Griffon MEPAC.

Le programme F-35, toutefois, n'est pas exclusivement américain. Il repose sur un vaste réseau de fournisseurs internationaux, incluant une part importante de l'industrie européenne. Plusieurs entreprises belges - Syensqo, BMT, Asco, Feronyl, Sabca et Sonaca - participent à la chaîne de production. Une partie de l'assemblage européen a aussi lieu à Cameri, en Italie, où sont intégrées des pièces belges et allemandes.

Cette dimension transnationale a été mobilisée par Bruxelles pour défendre l'idée que le choix du F-35 ne s'opposait pas à l'industrie européenne, mais l'inscrivait plutôt dans un cadre coopératif plus large.

Le facteur d'un territoire trop petit

L'intégration opérationnelle du F-35 dans le ciel belge se révèle toutefois bien plus compliquée que prévu. Comme l'a rappelé Le Vif, la Belgique souffre depuis longtemps d'un espace aérien parmi les plus restreints et les plus encombrés d'Europe, fortement contraint par les couloirs de trafic civil et par la géographie.

Or, les besoins d'entraînement du F-35 - manœuvres intensives, tests furtifs, exercices complexes basés sur les capteurs - dépassent largement les possibilités offertes par le territoire national. Ce manque d'espace représente un risque pour la formation des pilotes et limite la capacité du pays à exploiter pleinement son nouvel outil de combat.

Face à ces limites, le ministre de la Défense Theo Francken a ouvert des discussions avec plusieurs partenaires européens pour obtenir un accès élargi à leurs zones d'entraînement. Des négociations sont en cours avec l'Italie, la Norvège et les Pays-Bas. Ces arrangements s'inscriraient dans la continuité des pratiques de l'OTAN, tout en révélant la dépendance structurelle de la Belgique envers ses alliés pour assurer une préparation opérationnelle de routine.

L'arrivée des premiers appareils a également été marquée par des problèmes techniques : sur les quatre F-35 attendus à la mi-octobre, l'un a dû effectuer une escale prolongée aux Açores en raison d'une défaillance. Lockheed Martin a rapidement dépêché une équipe pour résoudre l'incident, permettant aux trois autres appareils d'être livrés comme prévu. La cérémonie de réception, en présence du Roi, souligne l'importance symbolique de cette acquisition malgré les aléas rencontrés.

Le fait que les F-35 belges soient aujourd'hui partiellement cloués au sol ne doit donc pas être interprété comme un échec de l'avion, mais bien comme l'expression d'une tension entre des ambitions d'acquisition et des contraintes nationales structurelles.

La Belgique a investi dans l'un des chasseurs les plus avancés au monde, mais son déploiement effectif dépend désormais de la capacité du pays à dépasser ses limites géographiques et à renforcer sa coopération avec ses partenaires régionaux.

Cet épisode démontre que la modernisation de la défense ne se résume pas à l'achat d'une technologie de pointe : elle exige une adéquation entre l'infrastructure nationale, la planification stratégique et les capacités que l'on entend déployer.

Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique

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